La réalité n'est plus ce qu'elle était
Si l'on nous pousse dans nos derniers retranchements, nous finissons par avouer lamentablement que la réalité peut se definir par ce qui se voit, ce qui se touche, bref, ce qui nous entoure et se manifeste a nous. Le dictionnaire ne fait guère mieux en la définissant comme ce qui existe effectivement et vraiment, associant la réalite à la vérité, une autre de ces évidences si difficiles a cerner. Quant à l'etymologie (du latin res: la chose), elle nous oriente vers une association de la réalité avec la matière.
En fait, au centre de la réalité se situe le moi, le sujet pensant et sentant. L'homme placé au centre de l'univers est le siège de sensations multiples (visuelles, auditives, tactiles...) qu'il analyse avec sa conscience. La réalité serait un ensemble d'objets matériels qui apparaissent a la conscience comme séparés et distincts, présentant un certain nombre de caracteristiques (résistance a la pénétration, forme, couleur...). Ces caracteristiques, qui constituent l'identité de I'objet, ne sont perçues et analysées que par l'intermediaire des organes sensoriels.
La réalité suppose donc une certaine permanence dans le temps, une continuité des sensations et un consensus des êtres humains sur sa nature et ses critères. C'est ce qui explique qu'elle est si souvent associée a la vérité.
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Le fondement de la réalité n'est en fait pas autre chose qu'une association des critères sensoriels et de l'interpretation que donne Ie cerveau de ces données. Que nos sens soient « trompeurs » pour reprendre I'expression de Descartes, ou plus exactement qu'une faille puisse être décelée dans le processus de formation de la perception et de l'interpretation des données sensorielles par le cerveau, et c'est toute notre conception de la réalité qui s'effondre.
Or, precisement, certaines failles ont pu être relevées dans le complexe processus de construction de la réalité par nos sens et notre intelligence. Le réel n'est peut-être pas aussi réel qu'on se plaît à le dire, la réalité n'est plus ce qu'elle était. Il entre en elle une part non négligeable d'irréel et de mystère.
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Ce que nous appelons vérité repose entièrement sur l'analyse des sensations. Nous venons de voir que la sensation à proprement parler est inexplicable. Il faut donc dès lors se montrer tres prudent dans la définition de la réalité. Certes, il existe « quelque chose» que nous pouvons appeler provisoirement «réalité», mais ce quelque chose est entièrement transformé et reconstruit par notre ordinateur cerebral. L'objet, ensemble de sensations, n'a plus qu'un lointain rapport avec ce qui lui a donné naissance.
La sensation (malgre certains essais de mesures plus ou moins aboutis au cours du XIXe siècle) est essentiellement subjective. Comme telle, elle est évanescente et soumise à de multiples facteurs de distorsion: la fièvre, l'absorption d'une drogue peuvent complètement alterer les sensations ordinaires. Où est le réel pour le sujet dont les facultés de perception sont modifiées?
Régis et Brigitte Dutheil "L'homme superlumineux"