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Les 2 infinis
20 mars 2013

La science bute sur trois énigmes majeures

Misha Gromov est un des plus grands mathématiciens du siècle. Âgé de 69 ans, il a quitté l'URSS en 1974 et travaille actuellement entre la France (à l'Institut des hautes études scientifiques de Bures-sur-Yvette) et les États-Unis (New York). Titulaire de nombreux prix, notamment du prix Abel en 2009, l'équivalent du Nobel des maths, ce savant franco-russe touche-à-tout porte un regard curieux sur l'état des sciences, des maths à la physique en passant par la biologie.
(...)

Quelles sont les trois principales énigmes de la science actuelle?
En premier, le mystère de l'univers, puis en deuxième le mystère de la vie. Comment est-elle survenue? Qu'est-ce qui l'a créée? Quand on regarde tous les paramètres, à l'évidence, les probabilités sont extrêmement basses qu'elle survienne. Elle n'aurait pas dû arriver et pourtant elle est survenue. Les mécanismes de la vie se structurent de manière si compliquée que nous ne les comprenons pas. Très honnêtement, la manière dont une cellule fonctionne, on ne le sait pas… C'est fantastiquement compliqué. Et puis, le troisième mystère, c'est l'esprit humain. On n'a pas le début d'une piste pour comprendre comment cela fonctionne! Nous ne savons pas comment nous pensons. Si vous deviez mettre à plat les informations reçues par le cerveau d'un enfant de 2 ans, cela semble totalement démesuré. On est très loin de pouvoir comprendre les interactions. Il est juste possible de voir l'esprit humain à l'œuvre dans le langage, mais on ne peut pas le voir directement. Pour prendre une métaphore, c'est comme la télévision : c'est une machine très compliquée qui, au bout du compte, vous montre des soap operas ou des sitcoms. Mais quand vous regardez la télé, vous ne savez pas comment elle fonctionne, vous voyez simplement les images. C'est pareil pour l'esprit humain, vous entendez les paroles…

Vous dites aussi que la réalité n'existe pas, que c'est une formule mathématique, au fond de notre œil, qui nous reconstruit un ensemble de vide et d'atomes…
C'est les deux à la fois. La réalité existe et n'existe pas à la fois. Les gens veulent penser qu'ils "existent" mais il faudrait s'entendre sur le mot "existence". Ce que nous percevons du monde n'est pas le réel ! La réalité, telle que nous la connaissons, n'est que notre réalité interne. C'est notre cerveau qui la "fabrique". Ce qu'il nous faut comprendre, c'est comment notre cerveau fabrique cette réalité interne. Et ça, on est loin de pouvoir le reconstituer. De la même manière, pour la "réalité externe", celle de la physique, on comprend mieux ce qui se passe dans les étoiles ou à la surface du Soleil qu'à 2 km de nos pieds, sous la croûte terrestre. De la même façon, on ne comprend pas ce qui se passe dans notre tête. Quand vous parlez, on sait quelle partie de votre cerveau fonctionne, quelle zone est stimulée, mais cela n'explique pas comment votre esprit travaille. Il doit y avoir un langage intermédiaire. Et la structure de ce langage nous reste inimaginable. Il faudrait pouvoir comprendre ce langage intermédiaire. Lavoisier disait que pour faire de la science, il faut créer de nouveaux langages…

Selon vous, combien d'univers existent-ils?
On ne sait pas! On peut même se demander si cela fait sens de se demander s'il y a un nombre d'univers! On ne sait pas non plus si cela fait sens d'essayer de les dénombrer. Certains disent de 10 à 500! Mais ce ne sont que des modèles. En fait, il y a de nombreuses raisons de penser qu'il y a de nombreux univers. Je pense même de très, très nombreux.

L'histoire de la vie est, selon vous, l'histoire d'une succession de catastrophes…
Oui, les catastrophes ont façonné ce que nous sommes. Dans l'histoire du monde, il y a eu de grands moments d'extinction, de disparition. Bien avant les dinosaures, il y a eu, pendant 200 ou 300 millions d'années, une grande période d'intenses activités volcaniques. La concentration d'oxygène a été divisée par deux ou trois. Ce furent des conditions horribles où quasiment tout est mort et ceux qui ont survécu étaient ceux qui avaient des poumons puissants. Avec ces poumons puissants sont venus les vertébrés et les oiseaux. Nous sommes aussi le produit de tout cela, puisque nous sommes parvenus à passer par ce goulot d'étranglement. Cet accident nous a créés, car sans lui, plusieurs types de vertébrés ne seraient pas là… Et encore, à la sortie de ce goulot, nous n'étions pas les plus aptes : les lézards et les grenouilles sont plus adaptés que nous : ils n'ont à se nourrir qu'une fois par mois, et n'ont pas à produire autant d'efforts parce qu'ils ont des métabolismes très lents.

Ce qui semble vertigineux avec vous, c'est la faible probabilité de l'apparition de la vie…
Oui, la vie a rencontré des problèmes partout. On se rend compte que si on change un paramètre, la vie devient impossible. Et il y a énormément de paramètres! Par exemple, on sait que si les atomes étaient plus petits que leur taille actuelle, ça serait trop compliqué de faire un être vivant. On sait aussi que les êtres vivants actuels ont besoin d'énormément de bactéries. Dans votre intestin, il y en a un nombre considérable!

Dans votre livre, le mot bactérie est un de ceux qui reviennent le plus souvent…
Les bactéries ont toujours été dominantes dans le monde, elles nous survivront probablement. Elles sont plus stables. À un moment, un événement, que nous ne comprenons toujours pas, a créé nos cellules, les cellules eucaryotes, des cellules plus complexes que les bactéries. Cet "événement" est d'autant plus surprenant qu'il va à l'encontre de la loi de la sélection naturelle, selon laquelle la vie va au plus simple et élimine ce qui est plus complexe car plus instable. Et pourtant nos cellules sont toujours là, alors que la condition naturelle d'une cellule, c'est de proliférer, sans contrôle, ce qui est la définition du cancer. Cela semble même un miracle, que nous n'ayons pas en permanence des cancers puisque le sort d'une cellule est de proliférer en grand nombre. Comment toute cette machinerie peut-elle contrôler les cellules et les empêcher de proliférer ? La manière dont la biologie avance est prodigieuse. Dans deux ou trois décennies notre vision du monde ne sera plus la même. La somme de données que les biologistes engrangent excède aujourd'hui la capacité de mémoire des ordinateurs. Actuellement, l'informatique est en retard sur la biologie, qui double ses besoins tous les six mois alors que la mémoire des ordinateurs double tous les huit mois. Quand tout sera analysé, nous serons dans un monde différent.

Vous pensez qu'à l'origine de toute vie, il y a une seule cellule?
D'abord, il y avait une bactérie, une cellule indépendante. Maintenant, grâce à l'étude du génome, on cherche un ancêtre commun à tous les organismes. Oui, on peut imaginer un ancêtre commun à toutes les formes de vie, même si la vie bactérienne et la nôtre sont très différentes. Tellement de choses nous échappent qu'on est loin de pouvoir comprendre. Aujourd'hui, aucun homme ne peut couvrir en totalité les connaissances en biologie. Il nous faut donc structurer le savoir autrement. C'est un énorme défi.

Vu sur le JDD - L'intégralité de l'interview ici

 

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