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Les 2 infinis
7 août 2016

Jacques Lusseyran

Jacques Lusseyran, né à Paris le 19 septembre 1924, mort le 27 juillet 1971, était un résistant français. Il devient aveugle vers l'âge de 8 ans.

En 1941, il co-fonde un groupe de résistance, Défense de la France, qui publie un journal clandestin éponyme, qui à la libération deviendra France Soir. Il est entre autres chargé des entretiens de recrutement, se fiant à un sens intérieur, développé depuis qu'il est devenu aveugle, et qui ne lui fera jamais défaut. Il est arrêté en 1943 et déporté au camp de Buchenwald. Il sera libéré en avril 1945. Sa survie est due au fait qu'il était interprète dans le camp, et qu'il n'eut pas à subir les terribles travaux forcés, les "kommandos" de travail.

Il devient ensuite professeur de philosophie et de littérature dans des universités françaises, puis aux États-Unis. Son livre Et la lumière fut relate les années de vie qui vont de l'enfance à la libération de Buchenwald. Il est le mari de Jacqueline Pardon, elle aussi membre du réseau Défense de France.

Il trouve la mort dans un accident de la route le 27 juillet 1971, à l'âge de 47 ans.
Source du texte : Wikipedia


Extrait de : Le monde commence aujourd'hui :
Un jour, j’étais là-haut. Je touchais terre, mais si peu : tout s’ouvrait autour de moi, le ciel et les vallées. Je m’appuyais de tout mon corps sur l’air. J’entendais le vent glisser le long des pentes et jouer. J’entendais les pas immobiles des deux monts dressés. J’éprouvais la verticalité de l’espace et ses inflexions au fil des forêts et des roches. Je savais exactement où étaient toutes choses et je les suivais. Je voyais le paysage, et ceux qui étaient près de moi, avec tous leurs yeux, le voyaient aussi, le paysage, autrement, ni plus ni moins.

Illusion! Un aveugle peut entendre, toucher, respirer, deviner un paysage : il ne saurait voir. Allons! Je vous l’accorde : je ne le voyais pas, je le connaissais. Mais êtes-vous suffisamment assurés de ce que vous faites de vos yeux, ou de ce que vos yeux font pour vous, pour affirmer péremptoirement la différence? Chaque fois que je contrôle mes sensations par celles des voyants, c’est une surprise générale.

Pour moi aussi, c’est une surprise : je ne m’habitue pas à cette coïncidence, et j’en viens à penser qu’elle me dépasse. Certainement, elle dépasse mes dons personnels et témoigne de la continuité de l’univers, laquelle est si parfaite qu’elle peut à peine être dite dans ma langue d’homme.

Si j’attrape un son du Blue Ridge1, un courant du Blue Ridge, je connais aussitôt cette montagne toute entière, et je la connais de toutes les façons à la fois : je la vois aussi. Quant à vous, votre chance est la même : regardez-la de tous vos yeux, et aussitôt vous l’entendrez, la pèserez, la palperez.

Je n’ai pas à justifier le fait, car ce n’est pas moi qui ai filé le tissu du monde — ce tissu qui ne comporte pas de trou. Mais j’ai le droit de tenir ce fait longuement et précieusement dans ma pensée, et de vous inviter à me suivre.

À me suivre d’abord dans des mouvements de perception élémentaire. Je pose la main (et de préférences les deux mains) sur le mur de briques de la maison, là au milieu de sa pelouse : aussitôt je connais la maison tout entière. J’ai touché une brique, deux briques, un espace matériel étroit et de la plus parfaite banalité. Je n’ai donc presque rien senti, presque rien appris. Et pourtant je sens la maison jusqu’à son toit.

Cette constatation m’a tellement surpris pendant des années que je la gardais pour moi, à demi persuadé que j’avais affaire à un mirage, à une pure construction imaginative. Puis elle s’est imposée dans toute sa simplicité.

N’ayez crainte, je ne vais pas vous demander, sans plus attendre, de me croire. Je ne vais pas vous demander ce que j’ai mis si longtemps à obtenir de moi-même et n’obtiens encore aujourd’hui que par instants. D’ailleurs ce n’est pas de croyance qu’il s’agit, mais de méditation, c’est-à-dire d’attention.

Nous raisonnons tous à partir d’une idée préconçue : l’idée que la réalité et tout particulièrement la réalité la plus dense, celle que nous disons «matérielle», est constituée de parties successives. Nous nous comportons donc comme si, dans toute opération perceptive, nous devions aller d'un point à un autre, lentement, méticuleusement, analytiquement. Cette analyse devient pour nous le mouvement même de la connaissance, l’unique chemin qui conduit jusqu’aux choses. Nous voyageons ainsi à la surface du monde, sans prendre garde que nous confondons le miroitement de l’étoffe, sa raideur ou son poli, ses dessins, avec l’étoffe elle-même.

Les vrais responsables, ce sont ici nos yeux. En effet, la vue est sans doute le plus souple de nos sens, et le plus généralement exercé. La vue est, d’autre part, celui de nos sens auquel nous daignons nous fier le plus. Mais c’est un sens fondamentalement mobile, dépendant de l’espace et de ses limites, un sens qui n’entre en jeu que s'il est orienté et n’apporte ses informations, des informations nouvelles, que si nous modifions progressivement son angle par rapport aux choses. Voilà une bien grande gêne à laquelle nous devrions songer davantage.

Nous nous promenons le long des choses, nous les caressons du regard, et nous ne connaissons la maison qu’après l’avoir reconstruite de la base jusqu’au toit, brique à brique.

Nous croyons du moins procéder ainsi. Mais en avons-nous la preuve? Comment affirmer qu’il n’y a pas eu dans le premier coup d’œil, dans la première brique que le regard à frappée, le premier ton d’une mélodie dont tous les autres devaient nécessairement jaillir, la raison, elle aussi nécessaire, d'une progression dont tous les éléments étaient dès lors prévisibles?

C’est alors que mon expérience d’aveugle peut-être relaie la vôtre. Car enfin, je vous l’ai dit, une brique pour moi fait la maison, mon premier pas dans le vestibule fait le living-room, le premier son de la voix fait l’homme.

Je ne suis pourtant pas plus malin que les autres. Je n’ai pas de puissance divinatoire ni magnétique spéciale. Ce n’est pas moi qui suis devin : c’est le monde qui se donne tout entier dans chacune de ses parties.

Certains soutiennent que les lignes de la main disent la destinée. Mais il me semble encore plus vrai que le nez, le pli de la lèvre, la folie d’une mèche de cheveux, l’onctuosité ou la raideur de la chair, le plus bref soupir, la toux, le rire, l’oscillation du buste ou sa fixité, la plus légère odeur qui vient d’un homme, disent l’homme tout entier et son destin.

De même, l’air qui me frappe, quand sortant de la voiture, je rencontre le Blue Ridge, me dit le Blue Ridge, et l’air de la 42e Rue me dit Manhattan, et celui du Luxembourg, Paris, Paris tout entier et rien d’autre que Paris.

Naturellement, cette profession de foi est parfaitement intempérante. Mais c’est que je n’ai pas encore dit l’essentiel.

En temps ordinaire, ma main sur la brique modeste et intacte du mur ne m’apprend pas, cela est vrai, que, dix centimètres plus loin, le mur se dégrade ou se fend. Elle ne m’apprend pas, ou très insuffisamment, la pente du toit, l’équilibre ou les contorsions architecturales de l’ensemble. Mais ce n’est la faute ni de la main ni de la brique : c’est ma faute.

À chaque instant je connais du monde juste ce que je mérite d’en connaître. La mesure de ma connaissance est celle de mon désir, de mon attention.

Cette fois nous tenons le fil. Et pas seulement le fil d’un objet particulier, mais celui qui noue l’univers et son réseau vivant.

L’attention seule commande : c’est elle qui fait l’univers.

Je vais donc essayer de rendre ma main attentive, ou plutôt de me rendre attentif à travers elle. Pour cela, il n’est, à ma connaissance, qu’un seul moyen : ne pas transporter les idées de ma tête jusque dans ma main.

J’ai beaucoup d’amitié pour les idées en général, j’en ai encore plus pour les miennes propres, hélas! Mais je crois savoir aujourd’hui que les idées ne sont pas toujours à leur place où nous les mettons, c’est-à-dire dans le moindre de nos gestes. Nous ferions souvent bien mieux de faire le geste d’abord. Au fait, le geste d’habitude ne nous attend pas : ce sont nos idées qui lui courent après, et d’autant plus vite que nous sommes intelligents, comme on dit dans la bonne société. Eh bien, je le répète, nos idées ont souvent, ont presque toujours tort, non pas d’exister, mais de faire un métier qui n’est pas le leur, de se jeter dans nos jambes, de nous barrer le chemin, de se précipiter en tiers dans toutes nos rencontres.

Nos rencontres avec la réalité n’ont pas à être d’abord des rencontres d’intelligence, mais de réalité. Si nous disions à nos idées, à nos opinions, à nos jugements, à nos habitudes, à notre démangeaison de savoir avant de connaître : «Tenez-vous tranquilles, les amis! Je vous appellerai dans un instant», aussitôt, notre perception de l’univers serait bouleversée de fond en comble. Nous ne le reconnaîtrions plus, notre vieux monde. Et il ne serait plus fatigué ni incohérent.

Ce serait une vraie révolution celle-là et pas seulement politique. À la place de ce charroi d’objets morts, d’objets composés et décomposés, dont notre monde est endeuillé à chaque seconde, à la place de ces faits isolés, de ces consciences isolées, de ces monceaux et tourbillonnements qui gagnent sur nous chaque jour davantage, nous verrions se dresser des forces vivantes.

Ce serait, à n’en pas douter, un grand spectacle, et qui aiderait à vivre. Pouvons-nous en dire autant de beaucoup de spectacles de notre monde présent?

Si je me fais attentif à travers ma main, si j’attends la réponse à la question, si petite soit-elle, que j’ai posée, si je patiente, je connaîtrai l’enlacement mobile de toutes choses, le courant qui les unit, tous leurs cristaux. Et la brique me dira la maison, avec ses moindres fêlures ou son plus lointain éclat.

Un homme entièrement attentif connaîtrait entièrement l’univers. Les sages qui font de la sérénité une condition de toute connaissance ont bien raison, car la paix intérieure nous met en disposition attentive. Rien ne disperse davantage que l’inquiétude et le doute, à moins que le doute ne soit méthodique, se réduisant alors à une prudence de l’esprit.

Dans la perception d'un homme attentif, la réalité se livre : des pans entiers se détachent sous la seule pression de la main, sous un seul regard. Mais la main n’est alors, et le regard n’est lui-même qu’un instrument. C’est toujours au-dedans de nous que la connaissance a lieu, c’est-à-dire dans cet endroit où nous sommes reliés à toutes choses créées.

La paix intérieure, c’est cela, et c’est cela l’attention : c’est un état de communication universelle, un état de réunion.

Or, nous passons le meilleur de notre vie à diviser. Nous sommes en brouille, en contestation avec toutes choses, et d’abord avec nous-mêmes. Ce n’est pas seulement une révolte vaine, c’est une folie coûteuse.

Nous passons notre temps à préférer les idées que nous avons du monde au monde même. L’égoïsme n’est qu’une forme, et très particulière, de cette préférence totale. Ce qui m’empêche de lire dans la pensée d’autrui, ce n’est pas le silence d’autrui, ou même ses mensonges. C’est le bruit que je fais, dans ma tête, à son sujet. Avant d’aller à lui, je calcule, je pèse et contre-pèse les mérites et les torts, je tire déjà ma conclusion. Cette conclusion, je la crie dans mes propres oreilles. Je m’enivre d’elle, je m’endors déjà sur elle. Comment pourrais-je m’étonner ensuite de ne pas voir cet homme que j’ai enseveli dans mon vacarme? Je me suis dressé dans mon armure d’habitudes, dressé moi-même entre lui et moi. Je vais donc me tromper, être trompé, m’établir enfin dans ma solitude — une solitude hostile. Ah! L’artificielle misère, et comme il serait plus simple de faire attention! Comme cela nous rendrait heureux!

Le mécanisme de l’attention me fait songer à celui de la mémoire. De même que les premières notes d'une mélodie, retrouvées par hasard, s’accrochent aux suivantes et ressuscitent la musique toute entière, de même la première perception attentive provoque la venue — le retour, devrais-je dire — d’une portion tout entière du monde. Le retour, oui : l’univers apparaît à la façon d'un souvenir. Le paysage que je découvre, que je suis venu jusque dans la lointaine Amérique pour tenir devant moi, il m’attendait quelque part, je le contenais depuis toujours. Ma perception d’aujourd’hui ne fait que l’actualiser, le rendre urgent. L’attention révèle cette absolue préexistence de toutes les parties du monde en moi.

Préexistence ou coexistence? Je n’en déciderai pas. Mais à coup sûr, familiarité totale, mouvement continu de toute chose à toute autre. C’est une grande merveille : je ne puis nommer le fait autrement. Elle rend compte de tout, et même du remplacement instantané — la plus étrange de mes expériences — des sensations visuelles par toutes les autres.

Cet amour, cette circulation de la sève primordiale à travers toutes les fibres de la création, les poètes la voient. C’est pourquoi j’aime tant les poètes. C’est pourquoi j’ai tant d’indulgence envers leurs défauts, et même leurs échecs. Cela au moins qui est essentiel, ils le savent.

Philosophes et savants, il est vrai, le savent aussi. Mais ils placent le foyer de leur attention trop près de leur visage ou de leur pensée pour attraper la mélodie entière du monde : ils n’en saisissent que des fragments. De là, bien des discordances, parfois même de la cacophonie.

Les poètes, eux, portent leur attention très loin, si loin quelquefois qu’il nous est malaisé de les suivre. Ils assistent à des fiançailles, à des mariages partout, ils ont une tendresse sans fin pour les relations les plus distantes : entre les idées et les objets, les hommes et les pierres.

S’ils ne voient pas tout, s’ils ne possèdent pas la connaissance pleine, c’est peut-être simplement qu’ils parlent. Les mots font retomber leur vision en poussière. Les mots les plus beaux, les plus rares n’ont ici aucun privilège : ils diminuent, eux aussi, tout ce qu’ils touchent.

Et moi, qui voudrais vous dire, avec des mots, cette expérience que j’ai de la simplicité du réel, je la diminue moi aussi : la voici toute petite dans mes mains.

Pourtant elle n’est ni petite ni confuse : c’est sur elle que je vis. C’est elle que je respire. C’est de me la rappeler, cette expérience, aussi souvent que je le peux, que je prends le courage d’exister. Mon courage n’est pas à moi, il est dans la vie. À moi de l’accepter ou de la refuser : c’est tout.

Ainsi du courage. Mais ainsi, de même, du bonheur et de la connaissance. Et, au bout du compte, de la vie elle-même.

Tout ce qui fait accepter la vie est bon. Tout ce qui nous la fait refuser est médiocre et provisoire.
vu sur consciencesansobjet
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3 août 2016

La relation par Jean Klein

Être humain, c'est être relié. En tant qu'êtres humains, nous vivons en relation avec les éléments: le soleil, la lune, les pierres sur le sol et tous les êtres vivants. Mais qu'est-ce que "être relié ", "vivre en relation avec" signifient? En général, lorsque nous utilisons ces mots, nous voulons dire un lien de quelque sorte entre des entités individuelles, d'objet à objet, ou de sujet à objet. Le mot " relation" présuppose ici séparation, la jonction de plusieurs fractions. Cette vision fractionnelle de la notion de relation est purement conceptuelle. C'est une fiction du mental et cela n'a rien à voir avec la perception pure, la réalité, ce qui est réellement.

Lorsque nous vivons libres de toutes idées et projections, nous entrons en contact direct avec notre environnement. Pratiquement, donc, avant de pouvoir être reliés à notre environnement. nous devons d'abord savoir comment être reliés à ce qui est le plus proche de nous: notre corps, nos sens, notre mental. Le seul obstacle à une perception claire de notre nature véritable est l'idée maîtresse d'être un individu séparé, vivant dans un monde avec d'autres individus séparés.

Nous avons une image de nous-mêmes. Cette image peut seulement être maintenue en rapport avec des objets, elle transforme donc notre environnement en objets, amis, enfants, époux, intelligence, compte en banque, etc., et rentre alors dans ce qu'elle appelle une "relation personnelle" avec ces projections. L'idée fantasque d'un soi est une contraction, une limitation de la globalité, de l'être réel. Lorsque cette notion meurt, nous trouvons notre expansion naturelle, notre paix, notre globalité sans périphérie ni centre, extérieur ni intérieur. Sans notion d'individu il n'y a pas sensation d'être séparé, et l'on ressent une unité avec toute chose.

Nous percevons alors l'environnement comme des occurrences apparaissant dans une globalité sans restrictions. Et lorsque notre amant ou nos enfants quittent la maison, ou que notre compte en banque baisse, ce sont des événements qui se produisent en nous. La vigilance reste constante.

Tout phénomène, toute existence est une expression au sein, de la globalité, et toutes les variétés d'expressions n'ont un sens et un rapport qu'uniquement dans cette lumière. Etre en relation, c'est être en relation à l'intérieur du Tout. Puisqu'il n'y a pas rencontre des fractions dans le Tout, il n'y a pas d' " autre ". Donc, à strictement parler, dans la relation parfaite, il n'y a pas rapport, il n'y a pas dualité - il y a seulement globalité.

Toute perception pointe directement vers notre être premier, vers la paix, le non-état naturel commun à toute existence.

Ainsi, en langage humain, être en relation c'est être en communion avec le Tout. Dans cette communion la soi-disant présence de l'autre est ressentie comme un don spontané, et notre propre présence est une réception spontanée. Il n'y a plus sensation de manque, donc du besoin d'exister, parce que le seul fait de recevoir nous amène à notre ouverture.

Lorsque nous vivons dans l'ouverture la première impulsion est d'offrir.

Etre dans l'ouverture et dans le mouvement spontané d'offrande, c'est l'amour.
L'amour est méditation; c'est une nouvelle dimension donnée à la vie.

Vous dites qu'il n'y a pas d'autre, mais vous ne pouvez pas dire qu'il n'y a pas de différences entre les gens. J'ai mon caractère et mes capacités, tout comme d'autres ont les leurs.

Vous vivez dans une contraction, pensant que vous êtes un individu. Où les termes " moi " et " mien" trouvent-ils une signification? Lorsque vous regardez vraiment en vous-même, vous ne pouvez pas dire que le corps vous appartient. Vous êtes le résultat de la rencontre de deux personnes, chaque parent avait lui-même deux parents, et ainsi de suite... Toute l'humanité est en vous. Vous êtes ce que vous absorbez. Vous mangez des légumes, du poisson, de la viande; ceux-ci dépendent de la lumière, du soleil, de la chaleur. La lumière est liée à la lune et les étoiles sont toutes reliées entre elles. II n'y a rien de personnel en nous. Le corps est en relation organique avec l'univers, il est constitué des mêmes éléments que tout le reste. La composition des éléments varie, mais cette variation est presque négligeable chez les êtres humains. II se peut qu'il y ait des différences dans la structure ou la couleur, mais la constitution et le fonctionnement sont les mêmes en chacun de nous. Il n'y a rien de personnel dans le cœur, le foie, les reins, les yeux, les oreilles ou la peau, ni dans les éléments qui constituent les schémas de comportement, de pensée, de réactions, de colère, de jalousie, de compétition, de comparaison, etc. Ce sont tous les mêmes états émotionnels. Le corps-mental fonctionne d'une manière universelle, et le soin que l'on doit en prendre est identique chez tous.

Vous devez comprendre et coopérer avec le corps. C'est l'ignorance du mécanisme qui crée le conflit. L'investigation peut seulement être menée dans la vie quotidienne. Votre mental et votre corps se reflètent dans votre comportement du matin au soir. Votre attention doit être bipolarisée, observant les champs intérieur et extérieur.

Les relations sont le miroir dans lequel se reflète votre être intérieur. Soyez conscient d'être un chaînon dans la chaîne de l'existence. Lorsque vous ressentez vraiment cela, l'accent n'est plus mis sur le fait d'être un individu, et vous sortez spontanément de votre restriction. Vous ne vivez plus dans l'isolement, dans l'autonomie. Etre en relation est le pressentiment de la Présence.

Ainsi, l'individu n'existe pas en tant qu'entité isolée; mais la personnalité n'existe-t-elle pas comme une partie unique du tout ? 

La personne n'est en réalité que persona, masque, cependant elle est devenue synonyme de l'idée d'individu, d'une entité séparée et continue. La personnalité n'est pas la constante que nous imaginons. Ce n'est, en fait, qu'une réorchestration temporaire de tous nos sens, imagination et intelligence, selon chaque situation. Il n'y a pas de répétitions dans la vie, et chaque réorchestration est unique et originale comme les dessins d'un kaléidoscope. L'erreur est de s'identifier à la personnalité, de la conceptualiser dans la mémoire et de nous prendre ensuite dans cette collection d'images cristallisées plutôt que de laisser toutes les émotions, perceptions et pensées se développer et mourir en nous. Nous sommes dans un théâtre, regardant notre propre pièce se jouer sur la scène. L'acteur est toujours " derrière" sa persona. Il semble être complètement perdu dans la souffrance, dans le fait d'être un héros, un amant, un bandit; mais toutes ces apparitions se situent dans la présence globale. Cette présence n'est pas comparable à une attitude détachée, à la position de témoin. Ce n'est pas une sensation d'être séparé, "en dehors ". C'est la présence de la totalité, de l'amour d'où tout découle. Lorsque aucune situation n'appelle l'activité, nous demeurons dans le vide de toute activité, dans cette présence.

Lorsque l'on n'est plus identifié à la personne, comment la vie en est-elle affectée ?

La première chose que vous remarquez, c'est combien plus riches et plus profondes sont vos perceptions. La communication en devient d'autant plus variée. En général, nous sommes fixés dans des schémas de communication; mais lorsque nous vivons dans l'ouverture, une grande sensibilité surgit, une sensibilité dont nous n'avons jamais rêvé.

Lorsque nous appréhendons notre environnement à partir de la totalité, notre structure tout entière devient vivante. Nous n'entendons plus la musique seulement avec nos oreilles, parce que quand celles-ci cessent de s'emparer des sons pour elles-mêmes nous sentons alors la musique avec tout notre corps, sa couleur, sa forme, sa vibration. Elle n'appartient plus à un seul organe mais à notre être intégral. Cela engendre une profonde humilité, une innocence. Et c'est seulement dans l'humilité qu'une réelle communication est possible.

Ensuite, l'on vit dans une dimension totalement neuve. Vivre en tant que personnalité, c'est vivre dans la restriction. Ne vivez pas dans la restriction. Laissez la personnalité vivre en vous. Vivre dans l'environnement sans séparation est d'une grande, grande beauté !

Jean Klein " Qui suis-je, la quête sacrée " 

vu sur vipassana.fr

2 août 2016

Le mental en action

Pourriez-vous reparler de la méthode à suivre pour retrouver la Conscience dans le monde objectif ?

Il faut avant tout analyser ce monde objectif, sinon vous ne pouvez pas trouver la Conscience dans les choses.
Il faut considérer qu'étant perçues et concues, les choses ne peuvent avoir de réalité indépendante.
Donc ce que vous appelez le monde n'est qu'une manifestation mentale. Pour le Vedenta, il n'a pas été créé à un moment donné, mais il se crée à chaque instant. Dès que le mental entre en action, le monde se crée. Dès qu'il cesse son activité, le monde s'évanouit. L'objet n'est donc qu'une forme de la Conscience. Lorsque le mental de l'homme "réalisé" se met en marche, le monde ressurgit à nouveau, mais il n'apparaît plus alors que comme un prolongement de la Conscience, sans aucune illusion de réalité indépendante.
Il est très important de bien connaître la nature du Monde. L'existence du Monde repose sur deux erreurs : l'erreur de l'objectivité et l'erreur de l'existence simultanée. Au sens d'une réalité objective constituée par des éléments multiples existant simultanément, le Monde est une pure illusion. La Réalité est la suivante : dès que le mental entre en action, des modalités d'être apparaissent et disparaissent. Ces modalités ne sont ni des choses, ni des réalités indépendantes, mais seulement des mouvements du mental. Ces modalités ne peuvent jamais se présenter comme réellement multiples, car toute saisie du mental est une appréhension d'unité. Tout ce qui est "pensé ensemble" est par cela même "un". En toute rigueur la multiplicité pure est impensable. La croyance au multiple n'est qu'une conséquence de la mémoire. Les modalités du mental n'existent que successivement. Ce qui nous fait croire qu'elles peuvent exister simultanément, c'est le mouvement par lequel l'esprit passe de l'une à l'autre, en oubliant que l'élément abandonné perd toute son existence au moment de cet abandon puisqu'il n'est pas distinct de l'activité du mental.

Jean Klein
La joie sans objet : L'ultime réalité, sois ce que tu es, suivi d'Entretiens inédits

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